Si j’étais une orchidée, je ne voudrais pas vivre dans les régions tempérées ni même dans les  régions méditerranéennes où, à l’aube de chaque nouvelle période hivernale, je  serais obligée de disparaître toute entière sous terre en attendant le  printemps pour réapparaître prudemment après les ultimes froidures.
Non vraiment pas… je vivrais  dans les régions tropicales où les conditions climatiques me permettraient de  profiter du grand air dans les bras d’une délicieuse chaleur moite tout au long  de l’année.
Si j’étais une orchidée, je ne voudrais pas être fixée au sol au risque de me faire  piétiner par quelque promeneur aveugle ou de me faire écraser ou faucher par  quelque engin motorisé. 
    Non vraiment pas… je me  réfugierais dans les grands arbres des forêts denses humides pour échapper plus  facilement aux fantaisies destructrices et irresponsables de l’espèce humaine.
Si j’étais une orchidée, je ne serais nullement parasite, je ne serais pas non plus une  plante grimpante,
    tel le vanillier. 
    Non vraiment pas… je me  libèrerais de tout contact avec la terre et j’utiliserais les branches des arbres  uniquement comme support; je serais ce qu’on appelle une plante épiphyte subvenant  d’une manière tout à fait autonome à mes besoins grâce à mes racines spéciales  qui, tout en me permettant de m’agripper au support, absorberaient l’humidité  atmosphérique et les sels minéraux de l’humus accumulé à la base des  ramifications et dans les anfractuosités de l’écorce.
Si j’étais une orchidée, je ne voudrais pas m’exposer d’une manière ostentatoire parmi les  herbes et autres plantes terrestres au risque de me faire cueillir voire même  déterrer par quelque amateur indélicat. 
    Non vraiment pas… je me  rendrais plus difficilement accessible à la convoitise des prédateurs insatiables  en m’abritant tout là haut dans la canopée des forêts ombrophiles (1) pour  profiter du rayonnement solaire, puisque seuls 2% en moyenne de ce rayonnement  ne parviennent au sol dans ces forêts et que trop d’ombre m’empêcherait  d’assurer ma photosynthèse.
Si j’étais une orchidée, je serais donc une épiphyte des forêts denses humides ; en Amérique du Sud je rechercherais plus  particulièrement la compagnie de mes proches cousines, les Tillandsia, les Guzmannia, les Aechmaea et autres Broméliacées qui, comme  moi, échapperaient à l’emprise terrestre pour venir flirter avec les insectes  et les oiseaux pollinisateurs et pour se laisser caresser par le vent  disséminateur. De nombreuses fougères ne manqueraient pas de se joindre à nous.
    Vraisemblablement  rencontrerions-nous d’autres espèces faisant partie des 10% d’épiphytes réparties  dans plus de quatre vingt familles de plantes à fleur et qui comme nous,  préfèreraient occuper la voûte ensoleillée des géants de la forêt ombrophile.
Tous ensemble, nous serions libres, sans contrainte et sans nous concurrencer pour l’occupation des sols et pour le prélèvement des éléments nutritifs, puisque nous occuperions un espace en trois dimensions bien plus vaste et plus attrayant que la simple couverture terrestre.
Plus près du ciel… libre !  Si seulement j’étais une orchidée!
 
(1) du grec « ombros » = pluie et « philos » = ami; se dit d’un végétal qui aime la pluie; à ne pas confondre ce terme avec « sciaphile », du grec « scia » = ombre, terme qualifiant un végétal qui aime l’ombre; les forêts denses humides des régions intertropicales correspondent à des forêts ombrophiles.
